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Recommandations du 13 juin 2001 pour l'adoption d'une charte de la propriété intellectuelle par les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, Ministère chargé de la recherche (direction de la technologie)

Recherche : direction de la technologie

Paris, le 13 juin 2001

Dans sa communication sur la politique de soutien à l'innovation du 18 juillet 2000, le gouvernement s'est fixé pour objectif de favoriser les transferts des résultats de la recherche publique vers le secteur productif, d'accroître le partenariat entre la recherche publique et la recherche privée et d'encourager la création d'entreprises innovantes ; le ministère de la recherche a pris une série de mesures pour assurer cette dynamique de l'innovation dans notre pays où la recherche publique a un rôle important à jouer. Pour ce faire, les établissements publics doivent protéger leurs résultats.

Il a donc été souhaité que les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et les organismes de recherche se dotent d'une série de dispositions relatives à la propriété intellectuelle qui soient approuvées par leurs instances délibérantes et qui constitueront leur charte ou leur guide de bonnes pratiques en matière de propriété intellectuelle.

L'adoption de ce texte sera l'expression d'une politique volontariste en matière de valorisation des résultats issus des recherches et l'occasion d'organiser un débat sur cette politique, au sein des établissements ainsi qu'avec leurs partenaires industriels.

Pour guider les établissements dans cette tâche, les recommandations ci-dessous ont été adressées à chacun d'entre eux en juin 2001. La direction de la technologie du ministère de la recherche est à votre disposition pour recueillir vos commentaires et suggestions concernant ces recommandations et pour répondre aux questions qu'elles suscitent ; elle mettra en œuvre dès le début de 2002 une série de visites en régions afin de présenter ces recommandations aux acteurs concernés.

Le directeur de la technologie,

Alain COSTES

***

Les recommandations, décrites dans le présent document, constituent des éléments de référence pour l'élaboration d'une charte de la propriété intellectuelle ou d'un guide de bonnes pratiques appliqué par les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche. Lors de l'établissement de cette charte, il conviendra de veiller à sa cohérence avec d'autres dispositifs d'encadrement, particulièrement avec les règles des appels d'offre communautaire, comme avec les accords internationaux, relatifs à la propriété intellectuelle, que la France a signés.

I - Objectifs

La charte s'inscrit dans le cadre de la politique de valorisation qui a pour objet de maximiser l'utilité socio-économique des résultats de la recherche afin de créer des emplois, de favoriser la création d'entreprises et de mieux répondre aux besoins de la société.

Il est impératif pour la recherche publique de valoriser et de protéger ses résultats. Avant toute divulgation doit être posée la question de la protection. La valorisation des résultats de la recherche publique doit :

– reposer sur un climat de professionnalisme et de confiance mutuelle dans les relations avec les entreprises,

– garantir la visibilité des résultats de la recherche publique, la reconnaissance des équipes et l'obtention de nouveaux contrats de recherche,

– garantir la traçabilité des inventions, aussi importante pour les industriels que pour les organismes,

– assurer la rémunération des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche et motiver les équipes par l'intéressement,

– concourir à l'attractivité du territoire dans la compétition internationale.

II - Champ d'application de la charte

La charte doit mettre en place un dispositif identifiant les modalités de protection et d'exploitation des résultats des travaux de recherche réalisés par les établissements, seuls ou en collaboration avec des partenaires extérieurs, publics ou privés et notamment avec des entreprises.

Il existe différents moyens de protection et d'exploitation selon la nature des résultats de recherche :

– les résultats relevant de la propriété industrielle, à condition de ne pas avoir fait l'objet d'une divulgation antérieure, soit sont protégeables par une procédure de dépôt, soit doivent être gardés secrets. Selon la nature des résultats, il s'agira d'un brevet, d'un certificat d'obtention végétale, d'une topographie de circuits intégrés. Le savoir-faire gardé secret ne doit être communiqué que dans le cadre d'un accord de confidentialité ;

– les résultats relevant de la propriété littéraire et artistique sont protégés dès la création, sans exiger une procédure préalable de dépôt qui peut cependant s'avérer utile dans certains cas. Rentrent notamment dans ce cadre les bases de données et les programmes d'ordinateur en temps que tels ; pour ce qui concerne particulièrement les logiciels, les organismes peuvent faire le choix d'une diffusion que la pratique qualifie de « libre » ; cette pratique nécessite le recours à des licences spécifiques dont le modèle le plus commun est celui des licences « GPL » (General public licence) ;

– les collections d'échantillons biologiques, qu'elles soient d'origine humaine, animale ou végétale, comportent des éléments physiques et un traitement automatisé des données. Lorsqu'elles ont une finalité scientifique, les collections d'échantillons biologiques humains sont déclarées au ministre de la recherche. Les établissements doivent, pour leur constitution, leur exploitation et la diffusion éventuelle de leurs données, respecter des règles en matière de déontologie, d'hygiène et de sécurité.

– le domaine de la matière vivante fait l'objet de nombreuses évolutions juridiques, notamment au niveau international. Ainsi, le régime des inventions biotechnologiques fait l'objet d'une directive européenne en cours de transposition. Par ailleurs, la révision des lois bioéthiques devrait préciser et harmoniser le régime de déclaration des collections d'échantillons biologiques humains à finalité scientifique.

III - Principes d'attribution de la propriété des résultats

En ce qui concerne les résultats des recherches qui constituent le cœur des activités de l'établissement, il est essentiel que celui-ci les protège en adoptant de préférence le régime de propriété ou de copropriété, avec un règlement de copropriété adapté. Il peut néanmoins céder ses droits de propriété, en contrepartie de garanties et de compensations financières, s'il s'agit d'une application spécifique au domaine technique de l'industriel.

Le régime de propriété ou de copropriété :

– facilite la traçabilité et la visibilité des inventions,

– permet à l'établissement de retrouver le droit d'exploitation si l'industriel ne l'utilise pas ou d'établir des collaborations avec d'autres industriels sur d'autres domaines d'application,

– permet de négocier de meilleures conditions de valorisation en cas de changement d'actionnaires ou de stratégie du partenaire industriel,

– favorise l'essaimage d'entreprises créées pour valoriser les résultats et la mise en œuvre concrète des dispositions statutaires favorables aux chercheurs introduites par la loi sur l'innovation et la recherche.

Une telle stratégie adoptée par les universités américaines et encouragée en 1980 par le Bayh-Dole Act, a eu des conséquences majeures vis-à-vis des résultats académiques en termes de dépôts de brevets et d'exploitation des inventions ; avant 1980, moins de 250 brevets étaient délivrés par an au nom des universités américaines, contre plus de 2000 en 1996.

IV - Application de ces principes à la recherche en partenariat :

A - Les recommandations

1°) Les principes généraux

Dans le cas des travaux de recherche coopératifs menés entre laboratoires publics et privés, dont une partie des coûts est prise en charge par l'établissement, le principe doit être celui de la propriété de l'établissement ou à défaut de la copropriété avec l'industriel, accompagnée d'un règlement de copropriété négocié.

Une adaptation de ce principe peut être un système mixte qui distingue la propriété ou la copropriété de l'invention lorsqu'elle est au centre de la technologie du laboratoire et l'abandon de la propriété à l'industriel lorsque l'invention n'est qu'une application spécifique dans le domaine technique propre à l'industriel. Dans ce dernier cas, l'établissement doit négocier, en contrepartie de l'abandon de la propriété, une juste compensation financière et le paiement du coût de la recherche. Cette compensation financière peut prendre des formes variables (prise de participation dans la société, forfait, retour sur licence d'exploitation) en précisant des garanties minimales en cas d'exclusivité (par exemple : retour minimal garanti sur l'exploitation).

Ce principe doit s'appliquer en prenant en compte :

– la réalité des apports et des acquis antérieurs,

– le mode de valorisation le plus efficace,

– la diversité des situations rencontrées par les établissements,

– la nécessité de traiter la négociation avec l'entreprise dans un délai raisonnable. Il convient de distinguer, dans la mesure du possible, entre les recherches à fort potentiel de valorisation et les dossiers de valorisation les plus courants dont les délais de négociation devraient être raccourcis.

Afin de répondre aux critiques de lourdeur et de manque de simplicité souvent avancées par les industriels pour s'opposer à la copropriété, le régime légal de copropriété régi par les articles L. 613-29 à L. 613-32 du code de la propriété intellectuelle doit être écarté au profit d'un dispositif négocié sous forme d'un règlement de copropriété. Ce règlement doit notamment prévoir de désigner un gestionnaire unique de la copropriété.

2°) Les cas particuliers

– dans le cadre de travaux de prestation de recherche sous-traités par une entreprise à un laboratoire public comme dans la mise à disposition d'un chercheur, d'une expertise ou d'une consultance effectuées par celui-ci, la propriété intellectuelle des résultats appartient à l'entreprise,

– les collaborations s'effectuant au sein des structures dotées de la personnalité morale (GIP, GIE, société) constituent un cas particulier. Les principes généraux devraient être définis par les statuts et complétés par des conventions spécifiques entre membres ou associés.

– les créations d'entreprises (cf. infra).

B - Les précautions

1°) Le régime de la propriété des résultats des travaux de recherche doit être défini en amont, dès la conclusion du contrat de collaboration, avant que les résultats ne soient obtenus :

– les acquis scientifiques et juridiques (brevets ou demandes de brevets) et les compétences de chacun des contractants avant le début du contrat sont précisés dès l'établissement du contrat de collaboration,

– l'objet et le domaine de la collaboration sont décrits de façon précise,

– le coût total du projet et les apports des participants sont évalués précisément. La contribution de l'établissement comprend l'ensemble des frais directs et indirects y compris les coûts des salaires et des frais généraux,

– le plan de développement technologique qui complète le contrat de collaboration doit préciser les conditions et les modalités de financement de la protection, en particulier en cas d'extension à l'étranger. Il faut aussi envisager la détection des contrefaçons et la prise en charge d'éventuels contentieux.

2°) Les concessions de licence

En cas d'exclusivité, il est préférable de prévoir :

– la définition du domaine d'exclusivité,

– une durée limitée,

– la fixation d'un minimum garanti de redevances,

– la possibilité de résiliation en cas de non exploitation dans un délai donné.

On rappelle que cette exclusivité n'est pas opposable aux établissements pour les besoins de recherche. Si les résultats sont possédés en copropriété, les modalités d'attribution d'une licence exclusive à un tiers doivent être précisées dans le contrat de copropriété.

La détermination des redevances est essentielle. Elle doit tenir compte de la portée économique de l'invention considérée, du domaine d'activité ou du marché visé par le produit. Il est conseillé aux établissements, à l'instar des recommandations de la Cour des comptes, de privilégier un mécanisme de redevances non plafonnées.

V - Le cas particulier des créations d'entreprise

Les start-up méritant une attention particulière, les principes ci-dessus doivent être adaptés pour tenir compte de l'importance que peut revêtir la propriété des résultats dans le développement de ces entreprises. La distinction doit être faite entre :

– la propriété intellectuelle des résultats de recherches déjà effectuées dans l'établissement : dans ce cas, la propriété doit en principe rester à l'établissement qui concédera une licence exclusive d'exploitation à l'entreprise,

– les résultats de recherche obtenus dans le cadre d'une « convention de collaboration » avec la start-up qui pourront faire l'objet d'une copropriété, comprenant une clause de rachat par l'établissement.

Dans les deux cas, quand certaines étapes sont franchies dans le développement de la « start-up », et si celle-ci apparaît comme la meilleure voie de valorisation, l'établissement public peut lui céder ses droits de propriété. Les contreparties demandées par l'établissement peuvent prendre la forme d'une prise de participation dans le capital de la start-up.

VI - Organisation de la propriété intellectuelle

A - Equilibre entre propriété intellectuelle et information du public

A l'heure où se développe pour les établissements publics une exigence de transparence, particulièrement lorsque leur domaine d'activité touche à des questions sensibles, il convient de concilier le respect de la propriété intellectuelle et la nécessité d'informer le public.

B - Précautions à prendre pour permettre une bonne protection des résultats

Les personnels de recherche, y compris les doctorants et l'ensemble des personnes accueillies pour une formation, doivent être sensibilisés aux questions de propriété intellectuelle afin de ne pas divulguer le résultat de leurs recherches de manière intempestive. Leur attention doit être également attirée sur le fait qu'ils ne sont pas eux-mêmes propriétaires de ces résultats, mais que ceux-ci appartiennent à l'établissement dont ils dépendent, les chercheurs ne conservant que le droit au nom, tant pour ce qui concerne les brevets que pour les logiciels. C'est au chef d'établissement que revient la responsabilité de déposer une demande de brevet, un certificat d'obtention végétale, un modèle d'utilité ou d'assurer le dépôt d'un logiciel.

Un chercheur ne doit donc pas :

– décider de prendre lui-même des brevets dont il est à l'origine,

– laisser prendre ces brevets par une entreprise,

– empêcher le dépôt d'un brevet ou d'une obtention végétale par son établissement, par suite d'une divulgation non maîtrisée.

A cet égard, une réflexion approfondie devrait être menée sur les modalités de participation à la valorisation des travaux de recherche des personnes accueillies pour une formation dans les laboratoires publics et cette réflexion, en concertation avec les établissements, devrait aboutir à la rédaction d'un document de référence, qui permette de tenir compte des spécificités des structures et des activités concernées.

La pratique de la tenue du cahier de laboratoire doit être systématique.

Le dépôt d'une demande de brevet n'est pas une fin en soi, mais le préalable à une véritable démarche de valorisation. Le dépôt d'une demande de brevet pour protéger les résultats ne se justifie que si l'existence d'un marché est potentiellement envisageable à moyen terme. Il convient donc, à la suite du dépôt, que l'établissement cherche des partenaires pour réaliser le développement de ses inventions. De même, il y a lieu de ne pas hésiter à abandonner un brevet s'il n'est pas exploité dans un délai raisonnable.

C - Organisation des services de valorisation

La mise en place par les établissements d'enseignement supérieur et de recherche de structures de valorisation est essentielle. Les dispositions de la loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999 devraient permettre de donner une meilleure efficacité à ces structures de valorisation interne, qu'il s'agisse de la possibilité de cotiser aux ASSEDIC, ou de la prochaine création des services d'activités industrielles et commerciales (SAIC).

– Les agents de ces structures de valorisation doivent avoir un profil adapté. Ils doivent être formés pour traiter correctement la rédaction des contrats. Une proportion suffisante doit avoir une expérience de terrain, des questions de propriété intellectuelle et de la manière de traiter le contentieux.

– La négociation des contrats de collaboration et de concession de licence doit être conduite dans le cadre d'une étroite collaboration entre les juristes, les spécialistes en propriété intellectuelle, les spécialistes du domaine technique, les spécialistes ayant une expérience de l'industrie.

– Un équilibre doit être trouvé dans l'organisation des services de valorisation entre la nécessité d'être au plus près du terrain afin d'accélérer les négociations avec les autres partenaires et la nécessité d'atteindre une taille critique.

– Les établissements d'enseignement supérieur et les organismes de recherche qui ont un faible portefeuille de brevets peuvent avoir intérêt à faire appel à des partenaires, le plus souvent possible à l'échelon régional.

– Des mécanismes d'articulation entre les services de valorisation et les laboratoires doivent être mis en place : des correspondants doivent être désignés dans chaque centre de recherche.