Sommaire BO courant Archives BO Table des matières cumulée BO Sommaire RMLR

Circulaire du 2 octobre 1997 relative à l’accès aux archives publiques de la période 1940-1945

NOR : PRMX9702288C

(Premier ministre)

Paris, le 2 octobre 1997.

Le Premier ministre à Mesdames
et Messieurs les ministres et secrétaires d’État

1. C’est un devoir de la République que de perpétuer la mémoire des événements qui se déroulèrent dans notre pays entre 1940 et 1945.

La recherche historique est, à cet égard, essentielle. Les travaux et les publications des chercheurs constituent une arme efficace pour lutter contre l’oubli, les déformations de l’histoire et l’altération de la mémoire. Ils contribuent ainsi à ce que le souvenir conservé de cette période soit vivace et fidèle.

Pour que de telles recherches puissent être menées, il faut que leurs auteurs disposent d’un accès facile aux archives qui concernent la période. L’objet de la présente circulaire est d’indiquer comment, dans le respect de la législation applicable, cet objectif peut être atteint.

2. Les documents produits par les administrations publiques durant la Seconde Guerre mondiale sont en principe accessibles à tous, puisque, en vertu de l’article 6 de la loi n79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives, les archives publiques deviennent librement communicables à l’expiration d’un délai de trente ans.

Il en va toutefois différemment des documents relevant, pour leur consultation, des délais spéciaux prévus à l’article 7 de la loi du 3 janvier 1979 précitée, et en particulier de ceux qui, en application du 5° dudit article, ne peuvent être communiqués avant un délai de soixante ans, parce qu’ils contiennent des informations susceptibles de porter atteinte à la vie privée, ou parce qu’ils ont été répertoriés comme intéressant la sûreté de l’État ou la défense nationale.

3. Un projet de loi est actuellement en préparation, afin d’aménager les conditions d’accès à ces documents, à partir des propositions contenues dans le rapport de M. Guy Braibant sur les Archives de France.

4. Pour le présent, et sans attendre l’aboutissement de cette réforme législative, il convient de faire le meilleur usage des possibilités de dérogations, générales ou individuelles, ouvertes par l’article 8 de la loi du 3 janvier 1979 précitée et par les décrets pris pour son application.

Ce régime dérogatoire obéit à des procédures distinctes selon que les archives relèvent de la direction des Archives de France du ministère de la culture et de la communication ou bien des deux départements ministériels qui administrent leurs fonds d’archives de manière autonome (ministère de la défense et ministère des affaires étrangères). Dans le premier cas, les demandes de dérogation doivent être soumises à la direction des Archives de France, qui statue après accord de l’autorité qui a effectué le versement ou qui assure la conservation des archives (art. 2 du décret n79-1038 du 3 décembre 1979 relatif à la communicabilité des documents d’archives publiques). Dans la seconde hypothèse, les dérogations sont respectivement accordées par le ministre de la défense (art. 7 du décret n79-1035 du 3 décembre 1979 relatif aux archives de la défense) et par le ministre des affaires étrangères (art. 10 du décret n80-975 du 1er décembre 1980 relatif aux archives du ministère des affaires étrangères).

Les dérogations sont normalement accordées aux demandeurs à titre individuel. Mais il est également possible d’ouvrir au public, par le biais de dérogations générales, l’accès à certains fonds ou parties de fonds, dès lors que les documents qui composent ceux-ci sont vieux d’au moins trente ans.

Les demandes de dérogation concernant des documents d’archives publiques relatifs à la période de 1940-1945 devront désormais être instruites conformément aux directives ci-après.

5. Dérogations générales :

5.1. La faculté d’accorder des dérogations générales n’a pas, à ce jour, été suffisamment exploitée par les administrations.

Certains fonds ont néanmoins déjà fait l’objet d’une telle mesure. Ainsi, le ministère de l’intérieur a consenti, depuis juillet 1983, une dérogation générale portant sur des ensembles de documents conservés aux Archives nationales, parmi lesquels figurent notamment les rapports adressés périodiquement par les préfets au ministre de l’intérieur entre 1940 et 1944.

5.2. J’entends que de nouveaux fonds fassent l’objet d’une dérogation générale. La direction des Archives de France adressera prochainement une liste de ceux qui pourraient être ouverts à la consultation aux départements ministériels concernés en tant qu’administrations ayant effectué le versement des dossiers aux archives. Je souhaite que les administrations destinataires de cette liste indiquent très rapidement au directeur des Archives de France si elles consentent à l’octroi d’une dérogation générale pour ces fonds. En cas de réponse négative, il conviendra d’exposer en détail les raisons impérieuses qui militent contre l’ouverture d’un fonds. Le ministre de la culture et de la communication me rendra compte, dans un délai de deux mois à compter de la publication de la présente circulaire, de l’ensemble des réponses qui lui auront été adressées par les différents départements intéressés.

6. Dérogations individuelles :

6.1. Des dérogations individuelles sont d’ores et déjà accordées pour l’accès aux archives de la période 1940-1945. En 1996, le nombre de demandes de dérogation instruites par la direction des Archives de France s’est élevé à 2201. La moitié environ de ces demandes concernait des documents conservés par les Archives nationales. L’autre moitié visait des fonds conservés dans les archives départementales. Selon les estimations de la direction des Archives de France, près des deux tiers des demandes relevant de cette seconde catégorie portaient sur des documents datant de la Seconde Guerre mondiale. Plus de 85 % de ces demandes ont reçu une réponse favorable.

Les archives publiques de la période 1940-1945 sont donc loin d’être totalement fermées aux chercheurs. Cependant la communauté scientifique se plaint de la prudence excessive ou de la lenteur de certaines administrations. Les recommandations ci-après visent à faire disparaître ces critiques. Elles valent pour toutes les administrations.

6.2. Bénéficiaires des dérogations :

Les dérogations devront être largement accordées pour effectuer des recherches historiques, en particulier aux membres de la communauté scientifique ou universitaire (chercheurs et enseignants), qu’ils soient français ou étrangers. Il en ira de même pour les étudiants de l’enseignement supérieur présentant des demandes dans le cadre de la préparation d’un mémoire ou d’une thèse.

Les administrations dont l’accord est requis en tant que services ayant effectué le versement aux archives doivent se prononcer au regard du contenu des fonds objets de la demande. Elles n’ont pas, en revanche, à réaliser d’enquête sur la personnalité ou la motivation des personnes qui sollicitent une dérogation. Il n’appartient qu’à la direction des Archives de France (et aux services des archives du ministère de la défense et du ministère des affaires étrangères pour ce qui concerne les dérogations concernant l’accès aux fonds gérés par ces deux départements) d’apprécier le sérieux des demandes qui leur sont adressées.

6.3. Pour que les chercheurs puissent formuler des demandes de dérogation, encore faut-il qu’ils aient préalablement connaissance de l’existence des documents. En conséquence, je vous demande de tenir à la disposition du public les inventaires des fonds d’archives concernant la période de l’Occupation.

Par ailleurs, je vous demande d’accélérer le versement aux archives des fonds documentaires datant de cette époque qui sont encore détenus dans vos services.

6.4. Le délai moyen de réponse aux demandes de dérogation est de trois mois. Ce délai est un maximum qu’il faut s’efforcer de raccourcir.

En outre, il arrive encore trop fréquemment que les administrations ayant effectué le versement, dont l’accord est indispensable, fassent connaître avec retard leur position à la direction des Archives de France. Certains demandeurs doivent ainsi attendre jusqu’à dix-huit mois pour obtenir une réponse. Un tel délai est inadmissible. Aussi, je vous prie de donner toutes instructions nécessaires à vos services pour que les demandes de dérogation soient traitées dans des délais les plus brefs.

À cet égard, je recommande à tous les départements ministériels qui ne l’ont pas encore fait de renforcer les moyens de leur mission des archives, voire de transformer celle-ci en service, afin d’accélérer l’instruction de ces dossiers.

6.5. En ce qui concerne les documents conservés dans les archives départementales, dont la communication est subordonnée à l’accord des préfectures ayant effectué les versements, je souhaite que les demandes de dérogation relatives aux rapports mensuels des préfets ou aux rapports émanant des renseignements généraux ou de la gendarmerie rédigés pendant l’Occupation ne se heurtent plus à des refus systématiques. Les préfets devront, s’ils envisagent d’émettre un avis négatif, prendre l’attache de la direction des Archives de France pour vérifier le bien-fondé des raisons qu’ils prennent en considération.

6.6. Ainsi que le relève le rapport, déjà mentionné, de M. Braibant, la divulgation de documents vieux de plus de cinquante ans ne présente plus aucun risque pour la sûreté de l’État ou la défense nationale, en dehors de cas particuliers extrêmement rares. C’est pourquoi, sauf exception dont je souhaite que mon cabinet soit informé, les demandes d’accès à des archives ayant trait à la période 1940-1945 ne devront plus être rejetées sur le fondement de ces impératifs.

Sous cette réserve, le seul motif sur lequel pourra s’appuyer un refus de dérogation sera le respect de la vie privée. Mais, même dans ce cas, les refus ne devront pas être systématiques. En particulier, les membres de la communauté scientifique dont le sérieux et l’honorabilité sont reconnus devront pouvoir accéder à ces documents s’ils s’engagent par écrit à les exploiter en préservant l’anonymat des personnes en cause et à ne faire aucun autre usage qu’historique des informations dont ils auront pris connaissance.

6.7. Les dérogations individuelles ne devront plus être accordées à titre temporaire. Une telle pratique n’est en effet prévue ni par la loi du 3 janvier 1979 précitée, ni par ses décrets d’application. En outre, il n’est pas acceptable qu’un usager se voit refuser l’accès à des fonds qu’il avait été autorisé à consulter auparavant.

6.8. Le ministre de la culture et de la communication, le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères me rendront compte, avant la fin du mois de janvier 1998, du nombre de dérogations sollicitées et accordées en 1997 ainsi que des délais d’instruction des demandes.

Lionel JOSPIN

(JO du 03-10-1997)