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Circulaire du 20 mars 1998 relative à lactivité éditoriale des administrations et des établissements publics de lÉtat NOR : PRMX9800699C (Premier ministre) Le Premier ministre à Mesdames et Messieurs 1. Traditionnellement, quelques services publics ont pour mission dimprimer et de diffuser des ouvrages : Imprimerie nationale, Journaux officiels, Documentation française. Cependant, au cours des dernières décennies, lactivité éditoriale sest développée au sein dun grand nombre dadministrations et détablissements publics de lÉtat. Cette évolution est en relation directe avec lexigence dune transparence accrue et dune meilleure information des citoyens sur laction des pouvoirs publics et nest pas étrangère à la modernisation de ladministration. Par ailleurs, certains organismes publics à vocation scientifique ou culturelle ont pour mission explicite de diffuser les connaissances quils contribuent à élaborer ou de faire connaître au public les uvres dont ils sont dépositaires. Il convient cependant de veiller à ce que cette activité dédition, dune part, demeure directement liée aux missions de service public et, dautre part, sexerce dans des conditions telles quelle ne fausse pas la concurrence sur certains segments du marché du livre. 2. Dans cette perspective, mon prédécesseur avait chargé M. Jean-Claude Groshens, conseiller dÉtat, dune mission détude et de proposition. À lissue dune enquête approfondie et dune concertation avec les principaux éditeurs publics et privés, M. Groshens ma remis un rapport, dans lequel il propose des mesures destinées à mieux encadrer lactivité éditoriale des services publics. La présente circulaire a été rédigée à la lumière de ce rapport. Elle a pour objet dénoncer les principes qui devront désormais être respectés par les administrations et établissements publics relevant de lÉtat dans le domaine de lédition. Ces principes sinscrivent dans le prolongement des orientations fixées par la circulaire du 14 février 1994 relative à la diffusion des données publiques. Par activité éditoriale, on entend désigner, dans la présente circulaire, la conception, la fabrication et la diffusion douvrages imprimés autres que les publications périodiques et simples documents destinés à linformation du public, ou à la communication ou la formation internes. 3. Il faut relever, à titre liminaire, que lactivité éditoriale globale des organismes publics nintéresse que marginalement le marché du livre, même si la situation peut varier selon les domaines éditoriaux et si lon peut observer chez certaines administrations une tendance préoccupante à sortir de leur champ dactivité. Les études menées par M. Groshens avec le concours de la direction du livre et de la lecture ont montré que la part de lédition publique dans le marché du livre reste modeste. Si lon met à part le secteur atypique des cartes géographiques, on estime que les organismes relevant de lÉtat produisent environ 4 % des titres sur le marché, ce qui, en raison de la modestie des tirages, représente moins de 2 % des exemplaires édités chaque année en France. En outre, environ le quart de cette production éditoriale est destinée à une diffusion non commerciale. La mission a également constaté que cinq institutions publiques ayant statutairement une vocation éditoriale (les Journaux officiels, la Documentation française, la Réunion des musées nationaux, les éditions du Centre national de la recherche scientifique et lensemble constitué par le Centre national de documentation pédagogique et les vingt-huit centres régionaux qui lui sont rattachés) réalisent à elles seules près des trois quarts des ventes du secteur public. Ces constats permettent de circonscrire les problèmes en ce qui concerne les relations entre éditeurs publics et privés. Il est clair que, pour la grande majorité des administrations et établissements de lÉtat, la seule question qui se pose est dapprécier si le développement dune activité éditoriale est compatible avec lobjectif de maîtrise des coûts de fonctionnement des services publics, si les ouvrages édités répondent à un réel besoin et sont suffisamment diffusés. En revanche, pour les quelques secteurs où la place prise par les services publics serait susceptible de porter ombrage à lactivité des maisons dédition privées, il convient de rechercher des solutions appropriées. 4. Les éditeurs publics institutionnels. Un certain nombre dorganismes de droit public ont vocation, en vertu des textes législatifs ou réglementaires qui les régissent, à exercer une activité éditoriale. Il sagit notamment : 4.1. De la direction des Journaux officiels, dont la mission est de publier et diffuser lensemble des textes législatifs et les principaux textes réglementaires émanant des autorités de lÉtat ainsi que les débats parlementaires et les annonces légales ; 4.2. De la direction de la Documentation française qui, en vertu du décret no 76-125 du 6 février 1976, "élabore, édite et diffuse des études et des documents dinformation générale et de vulgarisation" et "agit comme éditeur pour le compte dadministrations et dorganismes publics" ; 4.3. De la Réunion des musées nationaux (RMN), qui, aux termes de larticle 2 du décret no 90-1026 du 14 novembre 1990, a notamment pour mission "de favoriser la fréquentation des musées nationaux et la connaissance de leurs collections en éditant et en diffusant de façon commerciale des produits dérivés des uvres qui y sont conservées et des ouvrages qui leur sont consacrés", et qui peut également "prêter son concours technique à des collectivités publiques et à des musées français et étrangers" ; 4.4. De la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (CNMHS), dont lobjet, fixé par le décret no 95-462 du 26 avril 1995, est de présenter au public les monuments historiques et les sites appartenant à lÉtat et qui, à cette fin, peut "assurer la réalisation et la diffusion, à titre gratuit ou onéreux, des publications, photographies et documents audiovisuels et, plus généralement, tous objets se rapportant au patrimoine" ; 4.5. Du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui, aux termes de larticle 2 du décret portant organisation et fonctionnement de cet établissement public (décret no 82-993 du 24 novembre 1982 modifié), est notamment chargé "de développer linformation scientifique, en favorisant lusage de la langue française" et peut, à cette fin, "assurer lélaboration et la diffusion de la documentation scientifique et la publication des travaux" ; 4.6. Du Centre national et des centres régionaux de documentation pédagogique, lesquels exercent, en vertu du décret no 92-56 du 17 janvier 1992, une activité éditoriale au service des établissements denseignement ; 4.7. Enfin, de lInstitut géographique national (IGN), établissement public, chargé par le décret no 81-505 du 12 mars 1981 modifié "détablir, de publier ou de diffuser, sous forme graphique ou numérique" les travaux quil effectue, et du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), rattaché à létat-major de la marine nationale, qui a pour mission détablir les documents nautiques nécessaires à la sécurité de la navigation et de diffuser ou contrôler la diffusion des informations nautiques (décret no 71-396 du 25 mai 1971). 5. Lactivité éditoriale des organismes mentionnés ci-dessus nest pas contestable en soi puisquelle correspond à leur mission statutaire. Cependant, leur intervention sur le marché du livre ne doit pas être de nature à fausser le jeu de la concurrence. Il faut, à cet égard, faire une distinction selon la nature des ouvrages édités. 5.1. Il est normal que les éditeurs relevant de lÉtat produisent et diffusent des titres qui, en raison de la spécialisation du sujet abordé ou de létroitesse du marché potentiel, ne pourraient pas être offerts au public à un prix abordable sans un financement public. Cela constitue la raison dêtre principale des éditeurs publics. En principe, les ouvrages de cette nature ne font pas concurrence aux publications des maisons dédition privées. 5.2. Pour autant, il nest nullement interdit aux éditeurs publics de produire et de diffuser des ouvrages concurrentiels du moment que cette diffusion entre dans le cadre de leur mission de service public ou en constitue un prolongement immédiat et que loffre du secteur privé est insuffisante pour satisfaire complètement les besoins, étant entendu, sur ce dernier point, que le caractère déficient de loffre émanant de secteur privé ne doit pas sapprécier titre par titre mais au regard de lactivité densemble de lorganisme public considéré. Mais alors, conformément à larticle 53 de lordonnance du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, les règles du droit de la concurrence doivent être strictement respectées. Lorsque les ouvrages diffusés par des éditeurs publics entrent en concurrence directe avec des publications de même nature émanant du secteur privé de lédition, il convient de se montrer particulièrement vigilant sur les conditions de leur conception, de leur fabrication et de leur diffusion. Le prix de vente au public desdits ouvrages ne doit pas pouvoir être considéré comme abusivement bas. Il doit donc couvrir intégralement, non seulement les coûts directs de production et de distribution, mais aussi une partie des frais de structure conformément aux pratiques habituelles des entreprises privées du même secteur. Les éditeurs publics qui ont un accès privilégié à certains gisements dinformations ou à des fonds iconographiques doivent être particulièrement attentifs au respect du droit de la concurrence. En premier lieu, ils ne peuvent interdire aux éditeurs privés daccéder aux données brutes dont ils sont détenteurs. En deuxième lieu, si une institution publique exige une redevance pour mettre des données à la disposition dautres éditeurs, dans le respect des principes énoncés par la circulaire du 14 février 1994, elle doit, lorsquelle utilise à son profit lesdites données pour la confection dun ouvrage, pratiquer un prix de cession interne calculé selon les mêmes modalités que la redevance. Ce prix de cession interne doit à son tour être intégralement répercuté dans le prix de vente de louvrage au public. En troisième lieu, dès lors que le produit mis sur le marché entre en concurrence avec des produits similaires, léditeur public ne doit pas tirer avantage des aides qui lui sont par ailleurs accordées au titre de ses activités non concurrentielles. En dautres termes, les subventions versées pour la publication et la diffusion douvrages ayant un public restreint ou dun écoulement lent ne doivent pas être détournées de leur objet et être utilisées en fait pour améliorer la compétitivité de léditeur public sur les marchés concurrentiels. Bien entendu, les règles qui viennent dêtre énoncées sappliquent non seulement aux institutions publiques qui se livrent directement à une activité éditoriale mais aussi aux organismes de droit privé que ces institutions chargeraient, sous quelque forme que ce soit, dexercer cette activité pour leur compte. 5.3. Les coéditions entre le secteur public et le secteur privé sont recommandées, lorsquelles permettent de rapprocher les savoir-faire ou de renforcer les capacités dintervention propres à chaque partenaire, pour les investissements comme pour la diffusion. 6. Il nest possible de vérifier le respect des principes rappelés ci-dessus que grâce à des méthodes de comptabilité analytique. Or, ces méthodes sont encore insuffisamment développées chez les éditeurs publics. Il me paraît désormais indispensable que ceux-ci mettent rapidement en place de tels instruments afin dassurer la transparence de leurs coûts. Les méthodes qui seront définies devront être communes à toutes les institutions publiques ayant une activité éditoriale importante. Elles devront également permettre détablir des comparaisons avec les maisons dédition privées pour que ne restent pas sans réponse les critiques qui pourraient être formulées à lavenir concernant le caractère abusif des pratiques éditoriales de certaines institutions publiques. Létablissement, pour chaque titre édité, dune "fiche produit" permettra de retracer lintégralité des coûts de création, diconographie, de fabrication et de diffusion. Ces "fiches produit" seront complétées par des documents de gestion intégrant les coûts de structure. Le tout permettra de contrôler que le prix de vente au public est correctement calculé. Pour accélérer la mise en place dune telle comptabilité analytique, jai décidé de constituer, sous la direction du président de la commission de coordination de la documentation administrative, un groupe de travail dont le secrétariat sera assuré par la direction du livre et de la lecture du ministère de la culture et de la communication. Ce groupe de travail réunira des représentants des éditeurs publics institutionnels ainsi que des principaux ministères concernés. Son rôle sera de compléter et dactualiser les informations collectées dans le cadre de la mission de M. Groshens en ce qui concerne les coûts de production et les modes de fixation des prix chez les éditeurs publics et, sur cette base, de définir les principes directeurs de la comptabilité analytique qui devra être mise en place chez ceux-ci. Dans toute la mesure du possible, ces principes devront être calqués sur les usages en vigueur dans le secteur privé afin de faciliter les comparaisons avec ce dernier. Je souhaite que le groupe de travail ait achevé cette tâche avant la fin du premier trimestre 1999. Postérieurement à la mise en place dune comptabilité analytique fiable et homogène chez tous les grands éditeurs publics, ce groupe de travail continuera à se réunir périodiquement pour observer lévolution des coûts et des prix dans ce secteur. En outre, les maisons dédition privées pourront sadresser à lui pour faire part de leurs observations ou interrogations concernant lactivité éditoriale de telle ou telle institution publique. Ce contact permettra dengager un dialogue et daplanir les difficultés de relation entre éditeurs publics et privés. 7. LImprimerie nationale ne peut être assimilée aux éditeurs publics mentionnés ci-dessus. En effet, il ne sagit pas dune personne morale de droit public mais dune société anonyme dont lÉtat détient, directement ou indirectement, le capital. La loi no 93-1419 du 31 décembre 1993 garantit à cette société le monopole de fabrication des documents déclarés secrets ou dont lexécution doit saccompagner de mesures particulières de sécurité (titres didentité, passeports, documents administratifs ou détat civil). En revanche, lactivité éditoriale ne fait pas partie des missions de service public qui lui sont confiées. Ce sont les statuts de la société qui prévoient que celle-ci a notamment pour objet "lédition et la commercialisation de tous produits imprimés et douvrages". Lactivité éditoriale est financièrement marginale pour lImprimerie nationale puisquelle représente moins de 1 % de son chiffre daffaires. Elle permet cependant de préserver le savoir-faire des personnels tant dans le domaine de limprimerie traditionnelle que dans celui des techniques de haut niveau, et dassurer la conservation du patrimoine typographique exceptionnel détenu par cette entreprise. Il sagit donc dune activité légitime mais qui doit sexercer dans des conditions et selon des prix comparables à ceux des maisons dédition privées. Jai demandé au ministre de léconomie, des finances et de lindustrie, qui assure le contrôle de la société, de veiller à ce que cette règle continue à être respectée strictement par celle-ci. 8. Les administrations et établissements publics dont ce nest pas la vocation ne doivent pas entreprendre dactivités éditoriales par leurs propres moyens. Le fait quun organisme public nait pas vocation, en vertu des lois ou règlements le régissant, à mener des activités éditoriales ninterdit nullement que celui-ci soit à lorigine de la publication dun ouvrage. De très nombreuses institutions ont pour mission de diffuser des connaissances ou dinformer le public sur leurs activités. Cest ainsi, pour ne prendre quun exemple, que tous les musées peuvent légitimement entreprendre des actions pour faire connaître au plus large public possible les collections dont ils ont la garde. Plus généralement, la publication et la diffusion douvrages peuvent constituer des éléments de la politique de communication de toutes les administrations. Je souligne cependant que les critères au vu desquels sapprécie la légalité de lintervention des organismes publics dans la sphère éditoriale sont ceux qui ont été dégagés par la jurisprudence administrative et que la circulaire précitée du 14 février 1994 a rappelés. Ainsi, le choix pour une institution publique de faire publier et diffuser sous forme commerciale un ouvrage ou une collection nest justifié que si les conditions suivantes sont simultanément remplies :
Lorsque ces conditions sont remplies et quun organisme public souhaite quun ouvrage soit réalisé, il nest pas de bonne administration quil sinstitue éditeur si cette activité nentre pas explicitement dans ses missions. Lactivité éditoriale doit, en effet, être confiée à des structures spécialisées, publiques ou privées, car les personnels des services publics manquent, quelles que soient leurs compétences par ailleurs, du professionnalisme indispensable à celle-ci. Les instruments danalyse qui permettraient davoir une vue densemble aussi bien sur le coût que sur lutilité des publications leur font défaut. Et les palliatifs imaginés pour remédier au manque de professionnalisme (recrutement dagents issus du secteur privé, recours aux coéditions) ne garantissent nullement la maîtrise des coûts et ne permettent pas de sassurer que louvrage présente un réel intérêt pour le public ni quil sera suffisamment diffusé. Cest pourquoi je souhaite quil soit mis fin à lactivité dédition occasionnelle qui a pu être pratiquée par des administrations ou établissements publics dont ce nest pas la mission statutaire. Jai dailleurs demandé au ministre de léconomie, des finances et de lindustrie de donner instruction aux contrôleurs financiers de ne plus viser des engagements de crédits de ces administrations ou établissements publics ayant pour objet lédition douvrages, sauf dérogation accordée par mes soins après avis de la commission de coordination de la documentation administrative. Une telle dérogation ne sera accordée quexceptionnellement, lorsque le service concerné sera en mesure détablir quaucun éditeur public ou privé na répondu aux appels doffres lancés par lui. Les administrations et établissements publics qui souhaiteront, à lavenir, publier et diffuser des ouvrages devront soit confier cette tâche aux organismes publics dont la mission statutaire est déditer des ouvrages, notamment à la Documentation française, soit recourir à des éditeurs privés dans le respect des procédures édictées par le code des marchés publics. Je vous demande de veiller au respect des présentes instructions tant dans les services placés sous votre autorité directe que dans les établissements publics dont vous avez la tutelle. Vous voudrez bien me saisir, sous le timbre de la commission de coordination de la documentation administrative, de toute difficulté dapplication de celles-ci. Fait à Paris, le 20 mars 1998. Lionel JOSPIN (JO du 22-03-1998) |