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Avis du Conseil d'Etat du 21 novembre 1972, n° 309.721, Ofrateme

Conseil d'Etat : section de l'intérieur

PROPRIETE INTELLECTUELLE ET PERSONNES PUBLIQUES

Propriété littéraire et artistique - Droit de la propriété intellectuelle des personnes publiques sur les œuvres créées à l'occasion du service

Le Conseil d'Etat (section de l'intérieur) consulté par le ministre de l'éducation nationale sur les questions suivantes :

1° Certains collaborateurs de l'Office français des techniques modernes d'éducation, dit OFRATEME, qui participent à la création d'émissions destinées à l'enseignement des élèves et à la formation des adultes par la voie de la radio ou de la télévision peuvent-ils prétendre à des droits de propriété littéraire et artistique sur ces émissions ?

2° Dans la mesure où des droits seraient reconnus aux collaborateurs de l'OFRATEME concernés par la première question, ces droits ne devraient-ils pas être regardés comme cédés en totalité ou en partie à l'OFRATEME lui-même du fait du statut du personnel fonctionnaire de l'office et des contrats qui lient l'office à ses autres collaborateurs occasionnels ou permanents ?

Vu la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ; le décret n° 57-589 du 16 mai 1957 fixant le statut du personnel des cadres administratifs pédagogiques et scientifiques de l'Institut pédagogique national ; le décret n° 70-799 du 9 septembre 1970 portant modification de la dénomination de l'Institut pédagogique national et précisant les missions de cet établissement ; l'arrêté interministériel du ministre de l'éducation nationale et du ministre des finances et des affaires économiques en date du 5 août 1963 fixant les modalités de rémunération du personnel participant en qualité d'auteur aux émissions de la radio-télévision, ensemble le contrat annexé audit décret.

Sur la première question :

Considérant que les droits que les fonctionnaires publics tirent de leur statut sont toujours limités par les nécessités du service et qu'il en va de même du fait de leur contrat pour les agents contractuels, permanents ou occasionnels qui, étant directement associés au service public, lui sont liés par un contrat de droit public ; que les nécessités du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur sur les œuvres de l'esprit telles qu'elles sont définies aux articles 1 et 3 de la loi du 11 mars 1957 pour celles de ces œuvres dont la création fait l'objet même du service ; qu'il en est ainsi même au cas où certains collaborateurs du service peuvent prétendre à une part distincte dans la création de certaines œuvres dès lors que cette création a été effectuée par eux dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'aucune disposition de la loi du 11 mars 1957 ni aucune autre disposition législative n'autorise de dérogations aux principes généraux ci-dessus rappelés en accordant un droit de propriété aux fonctionnaires et agents publics sur les créations du service public auxquels ces fonctionnaires et ces agents appartiennent ; qu'en particulier si, aux termes du 3e alinéa de l'article 1er de la loi du 11 mars 1957, la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de louage de service n'emporte aucune dérogation à la jouissance des droits reconnus aux auteurs par ladite loi, il n'existe dans la loi aucune disposition analogue pour les situations juridiques nées du statut des fonctionnaires ou de contrats de droit public ; que, par l'acceptation de leurs fonctions, les fonctionnaires et les agents de droit public, au contraire, ont mis leur activité créatrice avec les droits qui peuvent en découler à la disposition du service dans toute la mesure nécessaire à l'exercice desdites fonctions ; que, pour ce qui a trait spécialement aux œuvres constituées par des émissions de radiodiffusion et de télévision, l'article 18 de la loi précitée n'est applicable d'après son texte même qu'au cas où des personnes physiques assurent la création intellectuelle d'une œuvre et non quand cette création est confiée légalement à un service public ;

Considérant toutefois que les collaborateurs du service public, quel que soit leur statut ou leur contrat conservent les droits de propriété littéraire et artistique sur leurs œuvres personnelles dans la mesure où la création de ces œuvres n'est pas liée au service ou s'en détache ; qu'il en est ainsi notamment si cette œuvre a été faite en dehors du service ou si elle est sans rapport direct avec la participation de l'auteur à l'objet du service ; qu'il y a lieu de rappeler d'autre part qu'aux termes de l'article 8 de la loi du 11 mars 1957, la qualité d'auteur d'une œuvre appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui cette œuvre est divulguée ; que par suite, si un service diffuse des œuvres sous le nom de certains de ses collaborateurs, il a la charge en cas de contestation d'établir que l'œuvre lui appartient ;

Considérant que l'Office français des techniques modernes d'éducation (OFRATEME), établissement public de caractère administratif, a entre autres missions définies par l'article 4 du décret susvisé du 9 septembre 1970, celle de donner des enseignements par radiodiffusion ou télévision ; que, par suite, tous ceux de ses agents permanents ou occasionnels qui participent directement à la préparation des émissions d'enseignement sont soit fonctionnaires, soit agents contractuels liés à l'administration par un contrat de droit public ;

Considérant que chaque émission d'enseignement est d'abord définie dans ses grandes lignes par les responsables de l'Office de façon à entrer dans le cadre de programmes d'ensemble arrêtés à l'avance ; qu'à partir du programme et jusqu'à son achèvement, toute émission de l'Office est suivie par « un chef de projet » assisté dans sa tâche de « conseillers pédagogiques » appartenant au personnel, en documentation et en matériel de l'Office; que les personnes qui guidées par d'autres donnent finalement l'enseignement ainsi étudié et préparé sans elles ainsi que celles qui avec des directives précises et un contrôle étroit assurent la mise en forme de ces émissions et sont qualifiées réalisateurs, n'ont normalement aucun droit distinct sur l'ensemble réalisé en commun par les agents du service bien que cet ensemble constitue une œuvre au sens de la loi du 11 mars 1957 ;

Considérant qu'en admettant même qu'il fût possible de reconnaître une part distincte revenant à un ou plusieurs collaborateurs de l'Office dans la création de certaines émissions, ces collaborateurs étant nécessairement, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, soit fonctionnaires, soit agents contractuels de droit public, ne peuvent prétendre à aucun droit sur les émissions réalisées par le service dès lors que la réalisation, la représentation et la reproduction de ces émissions sont des missions de l'Office et que par l'acceptation d'une formation les associant à la production des émissions fait abandon au service public des fruits possibles de leur liberté d'auteur, tels qu'ils sont définis par la loi déjà citée du 11 mars 1957 ;

Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que l'Office est investi des droits de l'auteur sur les émissions d'enseignement préparées dans ses services avec ou sans le concours de collaborateurs occasionnels ; qu'il y a lieu toutefois, comme il a été dit ci-dessus, de réserver les droits des collaborateurs du service public d'une part sur les œuvres qu'ils ont pu créer personnellement, sans que cette création fût liée au service, et d'autre part les conséquences juridiques que pourrait avoir contre l'Office la présomption édictée par l'article 8 susrappelé.

Sur la deuxième question :

En ce qui concerne les collaborateurs permanents de l'Office et les réalisateurs occasionnels d'émissions de radio au de télévision :

Considérant que ni les statuts des personnels fonctionnaires en service à l'Office, ni le contrat type signé par ses collaborateurs permanents, ni les contrats habituellement signés avec l'Office par les réalisateurs occasionnels d'émissions de radio ou de télévision ne contiennent de disposition relative aux droits de ses agents en matière de propriété littéraire et artistique ; que cependant l'acceptation d'une mission de service public implique pour lesdits agents non seulement la mise à la disposition du service de leurs facultés créatrices avec l'abandon de tous les droits d'auteur sur les œuvres à la création desquelles ils peuvent participer en service ainsi qu'il a été exposé en réponse à la première question ci-dessus mais encore la cession au service de l'exercice des droits patrimoniaux auxquels ils pourraient prétendre sur l'œuvre réalisée dans le service lorsque lesdits droits n'ont d'autre fondement que la présomption de l'article 8 précité ; que les agents concernés conservent au contraire personnellement les droits sur les œuvres qu'ils ont créées sans que cette création soit liée au service ;

En ce qui concerne les collaborateurs occasionnels de l'Office régis par l'arrêté susvisé du 5 août 1963 et le contrat type qui est annexé audit arrêté ;

Considérant que les collaborateurs occasionnels de l'Office apportent leurs concours pour la production d'émissions d'enseignement par radiodiffusion ou télévision doivent signer un contrat conforme au contrat type annexé à l'arrêté susvisé du 5 août 1963 ; qu'il résulte des termes des articles 2 et 4 de ce contrat que les signataires font abandon de tous leurs droits patrimoniaux et de leurs droits d'exploitation de l'œuvre réalisée, à l'Office que le contrat qualifie de « seul producteur » ; que le contractant « cède à l'État sans limitation de durée la totalité des droits de reproduction et de représentation tels qu'ils sont définis par la loi du 11 mars 1957 ainsi que les droits de propriété afférents aux films kinescopes ou pour les enregistrements de radios aux enregistrements sonores » ; que l'Office a « seul le droit de reproduire l'œuvre par tous moyens connus ou à inventer en totalité ou en partie ainsi que donner l'autorisation d'en projeter des extraits » ;

Considérant que si l'alinéa 1 de l'article 35 de la loi précitée du 11 mars 1957 prévoit que la cession par l'auteur de ses droits sur son œuvre doit comporter au profit de l'auteur une participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation, l'alinéa 2 du même article dispose que la rémunération peut être évaluée forfaitairement notamment « lorsque la base du calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée » ; que telle est la situation pour les productions de l'Office dont l'activité exclut le plus fréquemment la perception de recettes appréciables ; qu'ainsi le prix de la cession a pu être évalué forfaitairement comme le prévoit le contrat type ; que toutefois il y a lieu de faire une réserve pour l'application du contrat aux moyens de reproduction « venant à être inventés à l'avenir » dont la cession résulte de l'article 4 du contrat, sans qu'ait été prévue la « participation corrélative aux profits d'exploitation » exigée sans aucune restriction pour cette hypothèse par l'article 38 de la loi précitée du 11 mars 1957 ; qu'il résulte de ce qui précède qu'au cas exceptionnel où certains droits patrimoniaux sur l'œuvre réalisée en exécution d'un contrat, n'appartiendraient pas à l'Office en vertu des règles rappelées en réponse à la première question et où le signataire d'un contrat aurait acquis des droits sur l'œuvre réalisée avec sa collaboration, l'application du contrat entraînerait l'exercice par l'Office desdits droits à l'exception de ceux de ces droits qui pourraient exister sur la reproduction de l'œuvre par des moyens encore inconnus à la date du contrat.

Est d'avis que, sous réserve de l'appréciation que les tribunaux compétents pourraient être appelés à faire dans les litiges qui leur seraient soumis, il y a lieu de répondre au ministre de l'éducation nationale dans le sens des observations qui précèdent.